Articulation norme et réglementation
L’enjeu économique de la norme n’est plus à démontrer. Ses enjeux sociétaux et environnementaux se sont fortement développés au cours des dernières années, souvent en association avec un texte réglementaire. Comment conjuguer efficacement les deux outils que constituent la norme et la réglementation, dans un objectif de régulation adaptée de l’économie ?
Le débat du comité d’orientation de l’UNM de novembre 2012 a donné la parole aux représentants français des autorités publiques et de la normalisation, qui ont présenté les différents types de références aux normes dans la réglementation et la gestion de ces référencements au cours de la vie de la norme.
Arnaud Lafont, chef du bureau de la normalisation et de l’accréditation au sein du Ministère du Redressement Productif, a rappelé que les relations entre réglementation et normalisation sont anciennes, mais que le sujet reste difficile et ambigu, notamment du fait de la confusion qui persiste entre norme et réglementation. D'un côté, les missions du réglementeur sont d'assurer la sécurité, la santé des citoyens, la protection de l’environnement et la loyauté des transactions, en imposant le respect d'obligations spécifiques, alors que les missions du normalisateur sont de faciliter les échanges et de transcrire "l’état de l’art" au moyen de règles utilisées de façon volontaire. Ces deux dispositifs coexistent. Lorsqu'ils deviennent complémentaires, la normalisation apporte une base pour la réglementation technique, et offre un mode de preuve pour la présomption de conformité.
La norme répond à trois principes de base : elle est d’application volontaire, et, par exception, les pouvoirs publics peuvent rendre une norme d’application obligatoire ; elle doit se conformer à la loi et à la réglementation ; elle est homologuée par AFNOR sauf "veto" des pouvoirs publics.
La référence aux normes dans la réglementation peut être plus ou moins contraignante : de la simple citation indicative à l’application obligatoire comme moyen unique de satisfaire aux exigences du texte réglementaire, en passant par la présomption de conformité.
Lorsque les autorités publiques envisagent de recourir à l’utilisation des normes dans la réglementation, il est essentiel qu'elles établissent le cahier des charges de la norme attendue ; par la suite leur implication dans les travaux permet d’assurer que la norme est adaptée à la réglementation qui la cite, ou le cas échéant, de contester les textes qui ne correspondent pas aux objectifs visés. La commission de normalisation doit aussi être informée des révisions de la réglementation pouvant affecter telle ou telle norme.
Pour illustrer ces propos, Pascal Etienne, Responsable Ministériel aux Normes au Ministère du Travail, a pris des exemples dans le domaine de la santé et sécurité au travail. Parmi les éléments de contexte, le décret français 2009/697 et le règlement européen 1025/2012 relatifs à la normalisation constituent des avancées positives : ils reconnaissent le lien institutionnel entre Etat et normalisation, apportent des clarifications sur les mandats et les objections formelles, encouragent la participation de toutes les parties intéressées aux travaux de normalisation.
Dès lors qu'il existe une rationalité technique qui peut faire l'objet d'un consensus, que le principe du débat contradictoire est retenu dans l’élaboration des normes et que la délégation de pouvoir réglementaire est strictement encadrée, la relation réglementation/normalisation est bénéfique. Il s'agit notamment des normes qui interviennent dans le cadre de la nouvelle approche (par exemple les normes de sécurité des machines).
Dans d'autres cas, l'articulation réglementation/normalisation n'est pas aussi bien maîtrisée et peut susciter débat. Ce fut le cas au Conseil d'État pour le décret sur les risques électriques : "des normes homologuées d’installations entraînent présomption de conformité aux exigences réglementaires", ce qui n’implique pas que les normes soient obligatoires, mais est-il possible de faire autrement ?
Dans le domaine des services, des initiatives de normalisation se multiplient, parfois sur des sujets qui relèvent traditionnellement du réglementaire (code du travail en particulier), sans qu'une coordination n'ait été mise en place.
Sur un plan opérationnel, Danielle Koplewicz, directeur technique de l'UNM, s'est intéressée à l'interaction normalisation/réglementation au cours du cycle de vie des normes. Comme l'a souligné Pascal Etienne, le processus de la nouvelle approche européenne repose sur un ensemble de règles qui en garantissent l'efficacité : maintien du statut volontaire de la norme, qui confère présomption de conformité aux exigences essentielles édictées par la directive, objectifs attendus de la norme identifiés par un mandat de normalisation, collaboration en cours de processus par l'intermédiaire d'un consultant CEN pour vérifier la conformité du projet au mandat, citation de la norme au JOUE (et non dans le texte réglementaire lui-même), ce qui permet d'actualiser les références de façon régulière, possibilité de recours des pouvoirs publics au travers de l'objection formelle.
En dehors du processus de la "Nouvelle Approche", l’interaction entre normalisation et règlementation n’est pas aussi fluide ce qui peut entrainer des blocages à la publication ou à l’annulation des normes.
Pour compléter ce panorama, Alain Costes, directeur Normalisation d'AFNOR, a évoqué les travaux de la Commission Consultative d’Evaluation des Normes (CCEN). Créée en septembre 2008, au sein du Comité des Finances Locales (représentation des collectivités locales auprès de l’Etat/ Ministère de l’Intérieur), cette Commission est consultée sur les mesures réglementaires créant ou modifiant des "normes" à caractère obligatoire, concernant les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Les 400 000 "normes" identifiées représentent le nombre total de prescriptions règlementaires impactant les collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne le système français de normalisation, le champ visé est celui des normes françaises rendues d’application obligatoires (moins de 400), qui peuvent concerner les collectivités territoriales. AFNOR a mis en place un Comité de Concertation Normalisation et Collectivités territoriales (CCNC) qui devrait être le lieu d’échanges privilégié avec la CCEN. Une participation accrue des représentants des collectivités territoriales dans les commissions de normalisation est également souhaitée.
En conclusion de ces échanges, le comité d’orientation de l’UNM a reconnu la complexité de la relation entre norme et réglementation et encouragé les différents acteurs à mieux préciser les objectifs et la nature du référencement attendu, à identifier les services ministériels en charge des textes référençant les normes, et à proposer un dispositif de mise à jour de ces références.