De l'art et la manière de négocier
S'informer sur l'autre, lui poser des questions, se projeter dans son univers mental, tout en gardant en tête un objectif clair : la négociation internationale repose sur quelques fondamentaux. Retour sur la conférence de Simon Elliott, consultant senior chez Link up, professeur affilié externe à HEC et EDHEC, sur l'argumentation et la négociation à l'international, à l'occasion de l'assemblée générale de l'UNM et de la table ronde qui a suivi.
Négocier devient compliqué dans les groupes de travail car, entre le Brexit et la remise en cause des accord s commerciaux par les Américains, nous traversons une période difficile. Mais "nous avons notre mot à dire, et si nous ne le faisons pas, c'est toute notre industrie qui en pâtira." Ce constat de Jérôme Bataille, Président de l'UNM, a conduit l'UNM à inviter, Simon Elliott, négociateur international, consultant senior chez Link up, professeur affilié externe à HEC et EDHEC.
Négocier et aborder les questions interculturelles efficacement "revient à s'interroger sur sa capacité à transmettre son message de manière efficace, estime Simon Elliott. Pour beaucoup, il s'agit de créer de la confiance, ce qui s'instaure différemment suivant ses interlocuteurs.
"La recherche des informations avant et pendant la négociation est fondamentale"
Pour appuyer sa démonstration, Simon Elliott prend le contre-exemple du Brexit.
Premier point, impossible de convaincre l'autre, si l'on ne croit pas soi-même en ce pourquoi l'on négocie. L'équipe anglaise de négociateurs est très divisée, ce qui la rend "faible" en termes de négociation.
Deuxième point, avant le vote, personne n'a cru que la possibilité du Brexit était réelle. "Dans toute négociation, il faut travailler en amont sur les risques, les coûts et les objectifs clairs sinon un effet boomerang dû au manque de préparation est très probable", indique Simon Elliott.
Troisième point, la méconnaissance de l'environnement des partenaires et des interlocuteurs. "Chercher des informations sur l'environnement global de la négociation et comprendre le style et la psychologie de négociation de vos interlocuteurs est très important, insiste Simon Elliott. Les autres le font sur vous." A contrario, attention à ne pas se faire voler des informations. Certaines entreprises interdisent à leurs collaborateurs d'ouvrir leur ordinateur dans les trains ou les avions.
Quatrième point : une négociation est une affaire d'équilibre des pouvoirs. Il faut toujours identifier qui a le pouvoir de décision dans la négociation, et quand c 'est nécessaire montrer, d'une manière appropriée, de la fermeté pour rééquilibrer le débat. Sinon, vos lignes peuvent devenir flottantes, ce que va exploiter la partie adverse. Par exemple, affirmer que son dernier prix est 20 euros, et le descendre lorsqu'on en propose 19, inscrit le négociateur dans une spirale descendante.
Enfin, cinquième point, être unis. Toute division ouvre une faille. "Les Allemands se concertent avant la négociation, note Simon Elliott. Ils se forgent un avis ensemble et la personne qui négocie bénéficie de la force du consensus trouvé dans l'équipe."
"Il faut se mettre à la place de l'autre"
Tout l'art de la persuasion réside dans la capacité à se projeter dans l'univers mental de son interlocuteur, pour apporter des éléments qui correspondent à cet univers. Ce que Simon Elliott résume par : "Il faut se mettre dans les chaussures de l'autre, et c'est compliqué. Par exemple, si je parle d'un jardin, il peut se passer beaucoup de temps avant de comprendre que chacun n'a pas le même jardin en tête. Je ne dois jamais croire que l'autre a la même représentation des choses que moi. Ce qui doit me conduire à reformuler, poser des questions et valider la compréhension de l'autre. Le Béaba du négociateur, c'est de poser des questions qui lui donnent de l'information et lui permettent de faire progresser la négociation. Posez des questions ouvertes, écoutez l'implicite, le verbal et le non-verbal – une écoute à 360°". D'où l'importance de la recherche d'information en amont de la négociation qui passe souvent par des relais locaux permettant de mieux comprendre la culture de l'autre. "Quand je suis à l'international, j'utilise mes réseaux j'ai des "amis" qui m'aident à comprendre l'environnement de la négociation. Une semaine de négociation dans vos groupes de travail, c'est une semaine relationnelle, au cours de laquelle on cherche des contacts, des réseaux, des échanges d'informations."
"Vous devez constamment garder votre phare en tête"
Encore faut-il garder en tête ce que Simon Elliott appelle le phare, l'objectif. "Vous devez constamment garder votre phare en tête. Il n'est pas négociable ! Ce qui est négociable, c'est le chemin pour y parvenir qui peut varier suivant les individus que l'on a en face de soi."
Et cela se prépare. Avant de négocier, il convient d'identifier les priorités, les options et les concessions que l'on est prêt à faire, en privilégiant celles de faible coût pour soi mais qui peuvent avoir une grande valeur pour la partie adverse. Chacun a son point de rupture, l'espace gagnant/gagnant se situe entre les deux. L'objectif est de créer de la valeur ensemble dans la durée.
Le reste est affaire de persévérance : "Il faut aller au bout et même au-delà, martèle Simon Elliott. En persévérant, on peut retourner une négociation perdue". Bien sûr, il peut arriver de se trouver bloqué ou perdu. "Si vous ne savez pas où vous allez, arrêtez de négocier et reconnectez-vous à votre phare", conseille Simon Elliott. Et si d'aventure la négociation n'aboutit pas, il faut réfléchir au coût de l'absence d'accord. "En parlant de manière explicite des conséquences pour chacun, cela peut aider à trouver un accord. Mais quelle que soit l'issue, la relation avec l'autre ne doit pas être impactée pour pouvoir renégocier."
La règle de trois d'une bonne négociation
Pour Simon Elliott, une bonne négociation repose sur trois piliers :
- la préparation, avec différents scenarii, permet de contrôler 75 % de ce qui va se passer ;
- le phare (l'objectif) doit être gravé dans la tête, le chemin qui y mène est différent suivant le contexte et les négociateurs que l'on a en face de soi ;
- l'information donne le pouvoir de contrôler la négociation.
Culture chinoise : deux points clés
Pour Simon Elliott,
- Établir des relations de confiance : un travail de longue haleine qui commence par identifier le décideur.
- Respect et fermeté : deux valeurs plutôt appréciées des Chinois.
Laurence Douvillé, Pilote normalisation du Groupe Renault
"Après une quinzaine d'années chez Afnor, j'ai découvert une nouvelle vision de l'interculturalité lorsque j'ai rejoint Renault en septembre dernier. L'Alliance Renault/Nissan/Mitsubishi est implantée sur tous les continents. Au Technocentre de Renault, on compte 60 nationalités différentes. Je partage mon bureau avec un Japonais et une Marocaine. Nous sommes trois personnes à plein temps qui travaillons sur la normalisation. On nous propose des formations à l'interculturalité en général, mais aussi des sessions sur la culture des pays avec lesquels nous sommes en relation. Cela permet de comprendre pourquoi, par exemple, un Japonais ou un Indien ne prend jamais position en séance, à l'inverse d'un Américain. Cette connaissance de l'autre permet d'éviter les situations de blocage."
Pascal Vinzio, Vice-Président Technologies, Affaires extérieures de KSB
"Nos produits sont très normalisés, nous avons donc une activité forte en normalisation internationale. Nous travaillons aussi beaucoup avec les Allemands. J'ai impulsé le besoin d'une formation sur la culture et la langue allemandes et les différences avec la France. De même, quand nous avons ouvert une filiale en Chine, nous avons appris les basiques de la culture chinoise pour mieux les intégrer à nos équipes et favoriser le dialogue entre le site chinois et notre site en Dordogne. C'est important de savoir comment les gens réagissent et fonctionnent."
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Crédit photo voiture : Groupe Renault
Crédit photo pompes : KSB